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Cadre général : l’œuvre de commande

Introduction

Vos clients ne sont pas tous formés à travailler avec les designers et peu connaissent les meilleures pratiques pour construire un partenariat équitable et durable. Vous êtes donc leurs premiers informateurs à ce sujet, c’est dire l’importance pour vous, aussi, de maîtriser le cadre juridique
de vos métiers, et par les documents qui vous lient à eux, d’en transmettre la déontologie. En suivant la méthodologie, éprouvée, que nous vous proposons dans ce guide, vous donnerez à votre travail tout le sérieux et la sécurité qu’il mérite.

Devis et contrat, un engagement qui se doit d’être précis

Le devis est une pièce maîtresse parmi les documents qui peuvent vous lier à un client. Il définit sa demande, votre prestation et son utilisation dans un contexte bien précis, et fixe le montant de votre rémunération. Les informations qu’il contient sont donc primordiales.

Le contrat doit reprendre exactement les mêmes termes qu’un devis. Ou plus simple, un devis peut devenir un contrat de commande une fois contresigné par le client.
Il vous engage, vous, à livrer votre création, votre client, à vous rémunérer. Il fait fois devant un tribunal en cas de litige. Il convient donc d’apporter le plus grand soin à leur rédaction, afin que la présentation soit à la fois commerciale, cohérente avec le déroulement de votre travail, et ne laisse aucune place à l’interprétation pour être juridiquement fiable.

La création et son exploitation : deux notions indissociables

Les créations des designers entrent dans le cadre de la loi sur la propriété intellectuelle, qui indique que toute création génère des droits d’auteurs (lire Le code de la propriété intellectuelle).
Votre devis doit donc toujours comporter deux notions indissociables essentielles :
— la rémunération de vos recherches et conception dont découlera votre création, intégrant les contraintes spécifiques au projet ;
— la rémunération du service rendu à votre client par l’exploitation de ladite création, c’est-à-dire vos droits d’auteur.
Pour l’exploitation d’une création déjà existante, seule la rémunération des droits est à deviser (lire Calculez vos droits d’auteur).

La rémunération de l’exploitation de votre création peut, en cas d’utilisation importante, être supérieure à sa conception. Ceci explique que pour un même travail, outre les frais de structures, il y ai des disparités dans les prix pratiqués.

Faire preuve de pédagogie

Décrivez votre devis en vous basant sur la chronologie de votre travail : création/recherches, mise au point du projet retenu, exécution technique, et détaillez un prix pour ces 3 postes. N’oubliez pas de compter vos frais techniques (déplacements, suivis), soit englobé à votre prix, soit à facturer en supplément sous forme de poste supplémentaire.

Afin de lever toute ambiguïté et d’éviter des déconvenues, nous vous conseillons de mentionner vos droits d’auteur dès le devis, bien que la loi ne vous y oblige pas. Il peut arriver qu’un client non informé — notre travail ne se vend pas au poids — s’en étonne, voire vous reproche de vouloir augmenter votre facture.

Expliquez-lui que, au contraire, vous vous montrez honnête : comme la loi stipule que tout contrat vierge de toute mention, vos droits ne sont pas cédés, il est donc dans son intérêt qu’ils y figurent contractuellement, au risque pour votre client de se voir réclamer une somme après coup.
De plus, votre client pourrait souhaiter réutiliser ultérieurement votre création. Dans ce cas il n’aurait qu’une cession de droit à régler, pour un rapport coût/utilisation « très étudié ».

Certains vous demanderont de céder vos droits forfaitairement, pour simplifier les modalités (outre négocier une bonne affaire…). C’est une solution qui peut être envisagée sur un ensemble de créations cohérent, comme un logotype et sa charte graphique ou l’image d’un événement, dont on peut percevoir aisément les utilisations.

Pour des cas complexes où vous n’avez pas de « visibilité » sur l’exploitation qui pourrait être faite de votre création, évitez le forfait en expliquant que cette méthode présente l’inconvénient de coûter cher. Car le calcul des droits reposant sur une estimation d’utilisations où l’on ne souhaite rien oublier, le montant d’une cession forfaitaire est forcément à la hausse.

Limitez l’utilisation

La mention « Tous droits cédés » peut être considérée comme une position abusive de la part de votre client, et n’a pas de valeur au regard de la loi sur la propriété intellectuelle si il n’y a pas d’indication de durée, de zone géographique et de prix sur cette cession.

Malgré tout, nous vous incitons à toujours limiter l’utilisation d’une création dès le devis, sous peine de voir la rémunération légitime de son exploitation vous échapper.

Car, après coup, en cas de malentendu ou de mauvaise fois, après bien des procédures — même amiables — longues et coûteuses, il est aléatoire de vouloir faire valoir ces droits.
Bien des designers ont été déboutés alors que la loi est en leur faveur, parce l’ensemble de la relation commerciale entre le designer et le client est aussi prise en compte par les tribunaux, qui peuvent en effet parfois estimer que vos droits étaient compris dans votre prestation. Par exemple, comment justifier que vous avez créé un logo sans en autoriser l’utilisation ? Le tout est de décrire quelle utilisation.

Avec un devis-contrat bien rédigé, en cas de litige, vous pourrez faire valoir votre droit sans aucune interprétation par un juge, a fortiori si la propriété intellectuelle n’est pas de son domaine, et ce malgré l’habilité des avocats de la partie adverse.

Commande et cession des droits d’auteur

Les conseils de Maître François Lesaffre, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle.

Négocier de manière satisfaisante votre rémunération au titre de la commande qui vous est passée est évidemment une préoccupation première. Mener à bien cette négociation se présentera différemment quant à l’accord qui doit intervenir avec votre client selon l’œuvre qui vous est commandée et son exploitation : il convient en effet de distinguer selon que votre création est destinée à être utilisée pour la communication ou la publicité et n’est donc pas commercialisée ou selon qu’elle est destinée à être éditée, c’est-à-dire fabriquée en nombre aux fins de vente au public.


1. L’œuvre de commande non destinée
à l’édition et à la vente


Ce sera le cas de toute œuvre graphique (dessin, logotype), plastique ou photographique utilisée pour toute opération de promotion, de publicité ou de communication par tous modes d’exploitation possibles (presse, affichage, publicité sur lieu de vente, catalogues de vente, brochures, affichettes et tous imprimés, diffusion en télévision et en ligne…).

Il est recommandé d’abord d’éviter de négocier la rémunération sous une forme globale, c’est-à-dire amalgamant vos honoraires de conception et de réalisation (temps passé) et, d’autre part, le prix de cession de vos droits d’auteur pour l’utilisation de l’œuvre.

Il importe surtout de veiller à négocier votre rémunération due au titre de l’exploitation de votre création, c’est-à-dire vos droits d’auteur, en fonction de l’utilisation de votre création : précisez le plus possible l’utilisation pour laquelle vous cédez au client vos droits d’auteur afin que cette cession soit limitée à l’utilisation convenue ; votre rémunération, forfaitaire puisqu’il n’y a pas de commercialisation, n’en sera pas moins modulée en fonction de l’utilisation.

Délimitez ainsi, comme le Code de la propriété intellectuelle vous invite à le faire, l’étendue du domaine d’exploitation (nature du support, importance du tirage), la zone géographique et la durée ou l’année d’édition ; abstenez-vous de toute cession formulée en termes larges et généraux qui pourrait être interprétée de manière défavorable contre vous (tous droits cédés sans limitation de durée et pour tous pays), même si les tribunaux, fort heureusement, interprètent restrictivement les cessions de droits d’auteur et annulent ce type de clause.
Vous éviterez ainsi toute contestation quant à la portée des droits que vous cédez, ce qui est important si le client utilise au-delà de ce qui a été convenu.

Bien qu’il ne s’agisse pas de votre rémunération et de la cession de vos droits patrimoniaux d’exploitation (droits de reproduction et de représentation), ne signez jamais un bon de commande comportant au profit du client une renonciation à votre droit moral d’auteur, en particulier votre droit d’exiger le respect de votre nom ou signature, ce que les agences conseil et les annonceurs cherchent fréquemment à obtenir. Pareilles clauses sont en principes nulles, car vos droits moraux sont incessibles, mais il vaut mieux prévenir toute contestation sur ce point.

À quel moment prendre ces précautions
pour limiter la cession de vos droits
à une utilisation précise ?

C’est au moment où le contrat se forme avec votre client, c’est-à-dire à l’acceptation de votre devis ou à la signature par vos soins du bon de commande.

Devis accepté et bon de commande signé sont les documents contractuels qui vous engagent dans vos relations avec le client ; il importe donc de veiller avec une extrême prudence et attention à leur contenu.

Enfin veillez à ce que votre facture ne comporte pas de mentions ou de clauses qui seraient en contradiction avec celles du devis ou du bon de commande.

Exemples tirés de la jurisprudence
— Catalogue de vente d’articles de restaurants : la cession consentie ne vaut que pour un an et non au-delà pour une réédition, ne vaut que pour la langue française, ne vaut que dans les limites du tirage précisé.
— Personnage pour une quinzaine commerciale : la cession consentie ne vaut que pour la durée de l’opération, certains lieux de vente, et uniquement pour les formes ou supports de reproduction convenus.
— Logo pour la communication d’un groupe bancaire : la cession ne portant que sur les droits de reproduction n’englobe pas le droit de représentation, ce qui conduit à exclure la télédiffusion.
— Pour ne citer que cet autre exemple jurisprudentiel récent, pour un litige opposant un illustrateur à son client l’annonceur, il a été décidé que la cession des droits n’avait été consentie que pour le salon de 1994, année dont il était fait état au bon de commande, et aucunement pour des salons postérieurs malgré la présence de la formule : « tous droits attachés, sans limitation de durée » ( Cour appel de Paris 4 mars 2005).



2. L’œuvre de commande destinée à l’édition et à la vente