2003-2008 : cinq ans dactions
Retour sur la volonté et limplication dun syndicat professionnel :
premier bilan sur les actions menées depuis sa création
et stratégies pour lavenir
Cela ressemble à un lieu commun, et pourtant, il s’agit tout simplement de la survie de nos métiers: aujourd’hui, la seule chance de défense des métiers du design se situe à l’horizon européen. La législation française, et en particulier, le code des marchés publics, tord le cou à la création et aux fondements même de notre profession. Plus de marge de manœuvre en France et tout à créer dans la CE, nous devons agir avec nos partenaires européens, notamment allemands et suédois, dont le statut de designer est respectueux de l’exercice de nos métiers.
Stratégie et défense du design
Il est fondamental pour chaque secteur d’activité d’être représenté, et par là même identifié et doté d’une image objective, par un organisme professionnel. Les champs d’intervention sont multiples en ce qu’ils prennent en compte, selon l’intérêt du moment, toutes les facettes des métiers qui composent le périmètre des activités d’un domaine.
Citons quelques « chevaux de bataille » : analyser les freins et les moteurs de développement; porter l’écho auprès des instances requises des dysfonctionnements constatés et des suggestions formulées par les adhérents — et ceux qui ne le sont pas encore ; bénéficier de la reconnaissance des pouvoirs publics en tant qu’interlocuteur légitime en termes de consultation et d’expertise… À l’évidence, une profession n’est jamais aussi bien défendue que par elle-même !
Fédérer librement des individualités
Un tel organisme est d’autant plus indispensable pour une population de professionnels isolés et segmentés par leur statut (designers intégrés en entreprises, travailleurs indépendants ou gérants d’entreprises). En effet, dans la grande majorité des cas, les adhérents des syndicats sont des salariés. Ce statut génère tout naturellement le sens du collectif et l’habitude de mutualiser les efforts. Faire cavalier seul dans une activité n’est pas incompatible avec les idées d’engagement et de solidarité auprès de l’ensemble des cavaliers. Il est d’autant plus efficace d’adhérer à un syndicat professionnel qu’engagement et solidarité s’exercent dans un contexte totalement apolitique uniquement centré sur les intérêts et l’image des métiers.
Tous responsables de l’avenir du design
C’est dans cet esprit que s’est créée l’Alliance française des designers (AFD) en janvier 2003. Nous avons acquis depuis la légitimité et la reconnaissance du statut de syndicat professionnel. Dans la logique du fonctionnement syndical, des actions en cohérence avec une stratégie de promotion des professions du design ont été menées sur le plan social, fiscal et surtout juridique, en particulier dans le cadre des appels d’offres des marchés publics.
Il convient de souligner et de garder en mémoire que l’AFD est née de la volonté de professionnels du design bénévoles, et continue d’être gérée par des bénévoles. Compte tenu de cet état de fait, la réussite des actions entreprises concerne chaque designer en exercice, appelé à devenir adhérent pour renforcer le poids de l’AFD et manifester ainsi sa responsabilisation par rapport à nos professions trop souvent fragilisées.
Notre héritage
Les années quatre-vingt-dix ont entraîné, pour les métiers du design, une dérive très préoccupante dans le domaine des offres des marchés publics. L’instauration de procédures d’appels d’offres publiques a manifesté, dans un premier temps, la volonté citoyenne d’imposer des règles justes de passages de ces marchés. Comment expliquer que cette démarche nécessaire, respectueuse a priori, des commanditaires et des professionnels, génère aujourd’hui tant de situations abusives à cause des conditions tarifaires imposées aux designers qui suffoquent sous le déni total de leur travail et de leur investissement ?
On a assisté dans les années quatre-vingt-dix, à une sorte de confusion des paysages du design de communication et du design d’espace ou de produit. Les pratiques des agences publicitaires ont peu à peu envahi l’univers des appels d’offres publics. À cette époque, il était courant pour les agences publicitaires de faire appel à des offres de création sans aucune contrepartie financière.
Ces pratiques ont fait tache d’huile et se sont étendues à toutes les disciplines du design. Elles ont rapidement constitué la principale source des courriers reçus par l’AFD. Il est clair que cette problématique, au cœur du développement de nos métiers, principal obstacle à négocier pour les designers débutants, s’est imposée comme fer de lance de notre activité syndicale.
Deux poids, deux mesures
Reprenons un à un les différents items qui viennent grossir et complexifier ces cas de figure multiples et récurrents. Tout d’abord, un constat où peuvent se rejoindre commanditaires et designers: répondre à un appel d’offres exige un investissement-temps important. Les cahiers des charges sont de plus en plus complexes. Avant de commencer quoi que ce soit, une demi-journée est souvent nécessaire pour les décrypter. Ensuite, il faut bien compter cinq ou dix jours de travail pour élaborer une réponse adéquate et performante en créativité.
D’autre part, force est de constater que la rédaction du Code des marchés publics cherche, en priorité, à protéger l’acheteur en faisant l’impasse sur l’aspect travail et investissement de la part du challenger de l’appel d’offres. Il ne s’agit pas là d’une analyse par le petit bout de la lorgnette et volontairement tronquée du contexte global des appels d’offres. Ainsi, après avoir été édicté, le Code des marchés publics a été modifié à deux reprises pour rendre son utilisation plus facile et maîtrisable par l’acheteur public.
Premier assouplissement à sens unique
Le premier assouplissement date de fin 2004, avec début d’application en 2005, à l’initiative des maires de France soucieux d’alléger les procédures et les temps de réaction de leurs administrations. Il faut reconnaître que le code en vigueur auparavant était d’une rigidité telle, qu’il pénalisait le fait même de passer commande.
En effet, passer la moindre commande, quel qu’en soit le montant, impliquait un investissement temps démesuré. Il arrivait même que ce passage de commande coûte plus cher que l’objet de la commande. Le code a donc été assoupli pour faciliter la démarche de l’acheteur public: en dessous de 4000 ¤, point n’est besoin de lancer une procédure d’appel d’offres. Le marché est conclu par agrément mutuel.
Deuxième assouplissement à sens unique et en catimini Septembre 2006, intervient le deuxième assouplissement, toujours en faveur de l’acheteur public. Avant septembre 2006, l’article 49 du code autorisait la demande d’« échantillon ». Cet aspect constituait un problème juridique en soi qui pouvait être retenu contre l’acheteur public. Détaillons ce cas de figure: fournir un échantillon présuppose qu’il y ait eu une production. Un échantillon est issu d’une fabrication. Un acte de production est incompatible avec la demande de recherche intellectuelle de l’appel d’offres. Car, s’il y a production d’un échantillon, on est habilité à appliquer, dans le cadre de l’article 49, la loi de la propriété intellectuelle qui dit que toute création doit être rémunérée à sa juste valeur.
L’AFD pouvait faire jouer cet argument, en tant qu’organisme professionnel, dans une défense des designers rejetés à l’issue d’un appel d’offres des marchés publics, en vue de leur obtenir une compensation financière. C’est impossible depuis septembre 2006, la modification de l’article 49 a substitué au mot litigieux — « échantillon » — le terme consensuel, pour l’acheteur public, de « maquette ».
Les coulisses du deuxième assouplissement
En 2005 l’AFD a cherché, avec ses conseillers juridiques, quelle était la faille de la loi. Les architectes de leur côté ont mené la même réflexion. Nous avons mis en commun nos points de vue et nous avons rédigé ensemble, en juin 2006, un courrier adressé, sous nos deux signatures, aux pouvoirs publics. La teneur de ce courrier faisait état de la possibilité de faire jouer, auprès des tribunaux, la loi de la propriété industrielle dans les cas de rejets d’appels d’offres de marché public. (Lire Actions 2006.)
Aucune réponse directe à ce courrier, mais réaction immédiate: modification stratégique de la loi à l’initiative des pouvoirs publics. Cette péripétie illustre un fait notable. Les procédures sont et seront toujours favorables à l’État. Avec le terme maquette, nous entrons dans un système complètement verrouillé. Une maquette n’est pas un produit, ce qu’était l’échantillon, donc s’il y a maquette, il n’y a pas produit, pas de création, pas de loi sur la propriété intellectuelle.
Des subtilités difficilement opposables
Cette modification a été rapidement entérinée et le commanditaire peut désormais exiger, en toute légalité, une maquette. Toutefois, il est précisé dans cette nouvelle rédaction de l’article 49, que si l’étude implique un temps important de travail, le prestataire a droit à une prime. Seulement la mesure de référence du temps passé n’est pas stipulée. Il n’existe donc aucun barème.
Dans cette procédure de modification du code des marchés publics, aucun organisme professionnel n’a été consulté, ni l’Ordre des architectes, ni l’AFD. Comment codifier l’importance du temps passé sans en référer à des professionnels ? Les pouvoirs publics donnent dans un flou artistique qui permet les interprétations diverses et variées au détriment, bien sûr, des compétiteurs.
Notre effort doit se porter maintenant sur : faire évoluer le code des marchés publics en exigeant que les appels d’offres de création soient obligatoirement rémunérés, que les organismes professionnels de chaque pays soient obligatoirement consultés pour établir une grille de rémunération applicable à toutes les offres.
Action et réaction AFD au deuxième assouplissement Pour renforcer notre démarche de protestation auprès du gouvernement français dans un premier temps puis de la Commission européenne, avant que ne soit entérinée la modification de l’article 49, l’AFD s’est associée à l’Ordre des architectes pour lancer une pétition la plus large possible et exiger que cette nouvelle disposition ne soit pas applicable aux professions intellectuelles et artistiques. (Lire Actions 2006.)
État des lieux 2007 sur les appels d’offres des marchés publics
Le contexte légal d’aujourd’hui dit qu’au-dessous d’un montant de commande de 4000 €, il n’y a pas d’appel d’offres (télécharger ici). De 4001 à 210 000 €, l’appel d’offres est simplifié avec demande de trois devis, sans obligation de choisir le moins disant.
Dans le contexte d’un appel d’offres de marché public, se voir refuser une maquette, signifie que la création ne sera pas utilisée, et que l’argument de propriété intellectuelle tombe de lui-même. Entamer un procès sur cette base est voué à l’échec.
AFD : stratégie d’avenir au présent
Premier axe de la stratégie de l’AFD, s’engager sur un point fondamental: ce qui doit être rémunéré, c’est l’étude, la tâche demandée par l’appel d’offres et non la proposition de création.
Comment imposer cette stratégie dans un dialogue pouvoirs publics/designers ? On peut penser que pour commencer à instaurer cette pratique, il conviendrait que l’AFD s’associe avec le gagnant d’un appel d’offres pour demander que son étude préliminaire soit rémunérée. Hypothèse irrecevable : chaque participant à un appel d’offres de marché public signe un contrat qui le ligote pieds et poings.
Ce combat ne fait que commencer. Si les designers ont perdu la première manche, l’AFD n’a pas dit son dernier mot et notre intérêt à tous, bien compris, est de continuer de mener cette démarche frontale, vitale pour nos professions. Mener une bataille hexagonale n’apportera rien de plus si ce n’est d’éventuelles modifications légales qui renforcent les prérogatives de l’État.
Promotion du design et horizon européen
Les choses ne bougeront qu’à l’échelle européenne. D’autres contextes légaux régissent les appels de marchés publics en Allemagne et en Suède, par exemple. La rémunération des participants en est la règle de base.
L’AFD, en partenariat avec les autres organismes professionnels européens, exerce en permanence un lobbying actif auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. L’objectif est de créer, au niveau des instances européennes, une loi juste.
C’est une démarche de longue haleine. Plus nous serons nombreux à l’adopter plus vite « ça bougera ». Il s’agit d’initier un travail pédagogique auprès des commanditaires eux-mêmes, en association avec les organismes professionnels. Chaque designer a son rôle à jouer pour faire avancer la marge de manœuvre de nos professions.
La loi européenne qui arrêtera les règles des appels d’offres des marchés publics, devra comporter l’obligation de fixer, pour chaque appel d’offres, le montant d’une prime de dédommagement calculée selon une grille établie avec les organismes professionnels.
La loi de la jungle
Nous renouvelons notre mise en garde auprès des professionnels face aux appels non rémunérés. Nos politiques ont compris les enjeux de faire appel aux designers, mais dans une bien piètre reconnaissance du travail nécessaire pour parvenir à une création de qualité.
Y participer c’est accepter et encourager de telles mauvaises pratiques. Il est illusoire de trouver une faille au contrat de ce type de marchés où tout est rédigé pour donner raison à l’administration en cas de conflit. En participant, le designer s’engage à en accepter les conditions.
L’AFD, avec les syndicats professionnels de toute l’Europe, s’emploie à faire évoluer les mentalités auprès de la Commission européenne, mais nous sommes encore bien loin d’une loi qui imposerait une rémunération pour toute création demandée. En appeler au bon sens des professionnels reste actuellement le seul moyen de freiner ces dérives. Si personne ne répondait, ce système s’écroulerait.
Dans cette même logique, si vous êtes confronté à un appel d’offres « bidon », réagissez à l’aide de la lettre disponible sur ce site, imprimez-la et adressez-la au commanditaire dudit appel d’offre. C’est un premier pas nécessaire qui trouve son efficacité dans sa multiplication systématique (télécharger ici).
La survie de nos métiers
Si l’AFD, en tant que syndicat professionnel, attaque la procédure d’appel d’offres au nom de la profession, dans le but de faire jurisprudence, le risque est que, précisément, cette jurisprudence soit en notre défaveur. Depuis la modification de l’article 49 en septembre 2006, nous ne disposons plus d’argument suffisamment solide pour obtenir une juste réparation.
La seule stratégie pertinente pour l’AFD est, actuellement, de s’investir dans un long travail à l’échelle européenne avec pour objectif l’élaboration d’un Guide de bonne utilisation des règles de jeu de la commande publique.
L’avenir du design dépend de vous, dépend de nous
Combien sommes-nous en France? Il n’existe pas de statistiques précises, ce qui est révélateur du peu de visibilité de la profession et de son manque de définition. Des estimations proposent le chiffre de 80000 professionnels du design, qui généreraient 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (source Bureau of European Design Associations et Designing Hub), ce qui serait comparable à l’Allemagne.
Près de 700 designers ont adhéré à l’AFD depuis sa création début 2003. Plus de la moitié de ces adhérents sont des jeunes qui démarrent leur activité. Une fois les modèles de devis et de facturation assimilés, beaucoup ne renouvellent pas leur adhésion. Peu comprennent ce qui est en jeu dans le financement d’un organisme qui puisse défendre leur profession. Le turnover des membres de l’AFD professionnels de moins de trois ans d’expérience, est de la moitié tous les ans. Un fait nouveau toutefois qui ne pouvait se vérifier qu’avec le temps : nous en voyons revenir de plus en plus ces derniers temps. Cinq ans d’expérience de la vie professionnelle suffisent-ils à faire ressentir la nécessité de se fédérer ?
Il est clair que pour mettre sur pied une stratégie à vocation européenne, des moyens financiers sont indispensables. Aujourd’hui, l’AFD ne dispose pas du volant financier qui permet d’envisager une action construite de longue haleine. Un cap est à franchir. Celui d’accueillir des adhérents de plus en plus nombreux pour dégager à la fois des financements très attendus et développer une grande vague de responsabilisation des designers. Les professionnels expérimentés ont à ce titre un rôle fondamental à jouer : adhérer et faire connaître l’AFD. Permettre aux juniors d’exercer en respectant sa profession, c’est consolider sa propre activité.
Pour conclure, faisons un tour d’horizon européen: en Allemagne, au Danemark, en Finlande, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Suède, de 15 à 50 % des designers cotisent à un syndicat professionnel. Leurs gouvernements les consultent pour élaborer ou faire évoluer les contextes légaux.
En France nous sommes tout juste 1 %… À quand le tour de la France ? Cela dépend de vous.
François Caspar, designer de messages, cofondateur président 2003-2005
Béatrice Gisclard, designer d’espaces, présidente 2005-2007
Bruno Lefebvre, designer de produits, président 2007-2009
et le conseil d’administration de l’AFD
Télécharger ce texte : 2003-2008 : cinq ans d’actions